Arrêt du Tribunal administratif fédéral clos d’ambonnay

Arrêt du Tribunal administratif fédéral clos d’ambonnay

Introduction

Le 8 juin 2017, le Tribunal administratif fédéral (TAF), qui est la première instance judiciaire de recours contre les décisions rendues par l’Institut fédéral de la propriété intellectuelle (IFPI) avant le Tribunal fédéral (TF), cour suprême, a admis le recours formé par MHCS, titulaire de la MI 1’098’807 clos d’ambonnay, contre le refus de l’IFPI de protection en Suisse de cette marque (arrêt B-5004/2014). Cette marque, basée sur une demande déposée en France le 3 décembre 2010 et désignant la Suisse, est destinée aux produits de la classe 33 (soit notamment les champagnes).

L’IFPI a refusé de protéger cette marque en Suisse, au motif que ce signe renverrait aux particularités des produits revendiqués, aurait un caractère trompeur et serait contraire au droit en vigueur.

Il s’agissait donc de déterminer si un signe qui correspond à un nom géographique issu d’un Etat étranger (en l’espèce clos d’ambonnay comme indication géographique issue de France) peut être refusé à la protection en Suisse si ce signe est enregistré comme marque dans cet Etat étranger (ce qui est le cas en l’espèce).

Droit

Selon le TAF, la majorité de la doctrine se réfère à l’arrêt du TF (ATF) 117/1991 II 327 montparnasse et considère que les autorités suisses ne sauraient en principe refuser de protéger en tant que marque un signe qui correspond à un nom géographique issu d’un Etat étranger lorsque ce signe est enregistré comme marque dans cet Etat étranger. Le TAF ajoute que la position du TF dans cet arrêt de 1991 est claire, qu’elle est suivie par la majorité de la doctrine et que les arguments avancés à son encontre ne sont pas convaincants. Rien n’indique en outre que le TF ou le TAF aurait renoncé à suivre la voie tracée par l’arrêt montparnasse. En d’autres termes, pour qu’un signe principalement perçu comme un nom géographique étranger n’appartienne pas au domaine public, il suffit que ce même signe soit enregistré comme marque dans l’Etat étranger dont le nom géographique provient, cela au nom du déposant en Suisse et pour les mêmes produits ou services. Peu importe ainsi que ce signe soit dépourvu de force distinctive en Suisse.

Ainsi, s’il n’est pas perçu comme une indication de provenance, un signe ne peut pas être descriptif de la provenance des produits et des services revendiqués et appartenir de ce fait au domaine public. Il ne peut pas non plus être propre à induire en erreur quant à la provenance des produits et des services revendiqués. Le TAF ajoute qu’il ne fait aucun doute que, au moins pour les spécialistes et une partie du grand public, le signe clos d’ambonnay est principalement perçu comme la désignation d’un vignoble ou d’un domaine de la commune française d’Ambonnay, c’est-à-dire comme un nom géographique étranger. Par conséquent, vu l’arrêt montparnasse, si le signe clos d’ambonnay est principalement perçu comme la désignation d’un vignoble ou d’un domaine de la commune française d’Ambonnay, sa protection ne saurait être exclue en Suisse.

Dans un deuxième temps, le TAF considère que, le signe clos d’ambonnay, qui correspond à un nom géographique français, n’est pas frappé d’un besoin de libre disposition en Suisse (en raison du fait qu’il correspond à un nom géographique français), car ce même signe est, pour les mêmes produits, réservé en France à la seule recourante (qui est titulaire en France de la marque clos d’ambonnay). En d’autres termes, si le signe clos d’ambonnay est principalement perçu comme un nom de fantaisie, il n’appartient pas au domaine public.

Le TAF se demande ensuite si le signe clos d’ambonnay est propre à induire en erreur. Etant donné que la provenance de tous les produits de la classe 33 revendiqués dans la demande d’enregistrement est limitée à « Ambonnay (France) » suite à la limitation de la liste des produits, il n’est pas à craindre que le public suisse, qui percevrait le signe clos d’ambonnay principalement comme un nom géographique français, ne soit induit en erreur au sujet de la provenance des produits. Le signe clos d’ambonnay n’est dès lors pas propre à induire en erreur.

Dans un dernier temps, le TAF examine si le signe clos d’ambonnay est contraire à l’ordre public, aux bonnes mœurs ou au droit en vigueur, en se référant principalement aux ADPIC : ni l’art. 22 ch. 3 ADPIC ni l’art. 23 ch. 2 ADPIC n’interdisent l’utilisation du signe clos d’ambonnay en lien avec les produits de la classe 33 revendiqués dans la demande d’enregistrement, car la provenance de tous ces produits est limitée à « Ambonnay (France) » suite à la susdite limitation de la liste des produits. Le droit suisse ne permet donc pas d’exclure de la protection en tant que marque le signe clos d’ambonnay.

Conclusion

Cette décision très importante doit être saluée, car l’IFPI donnait jusque-là parfois l’impression qu’il considérait le public suisse comme étant plus à même de se prononcer sur la protection à titre de marques de signes étrangers pourtant protégés dans leur pays d’origine. Cela était d’autant plus regrettable que l’arrêt montparnasse du TF avait posé des principes que l’IFPI estimait ne pas devoir appliquer.

Il reste à présent à espérer que l’IFPI tiendra dorénavant compte de cet arrêt clos d’ambonnay lorsqu’il s’agira d’accorder la protection en Suisse à un signe qui correspond à un nom géographique issu d’un Etat étranger lorsque ce signe est enregistré comme marque dans cet Etat étranger.

Laurent Muhlstein